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Epris de Capri, Jacquemus défile à la villa Malaparte

« Une marque adolescente » : c’est ainsi que Simon Porte Jacquemus décrit la griffe qui porte son nom et qu’il a fondée il y a quinze ans. Et comme chez un humain, la puberté correspond à une phase de transformation. « Quand j’ai débuté, j’essayais de faire du neuf. Depuis quelques mois, je me préoccupe plutôt de longévité. J’essaie de définir l’essence de Jacquemus », affirme le designer de 34 ans.
Il faut dire que sa maison, qu’il possède entièrement et qui n’est pas soutenue par des investisseurs extérieurs, a connu une poussée de croissance extraordinaire : son chiffre d’affaires, qui avait déjà atteint 11,5 millions d’euros en 2018, est passé à plus de 20 millions en 2021, puis a bondi à 200 millions en 2022. Pour Simon Porte Jacquemus, qui en est à la fois le directeur artistique et le directeur général, il s’agit de manœuvrer finement pour ne pas dégringoler de ce sommet atteint si vite, surtout dans le contexte économique défavorable actuel.
Lui qui a toujours su se servir de ses défilés pour briller a réitéré cette performance, lundi 10 juin à Capri (Italie), où il a présenté ses collections automne-hiver 2024-2025 pour homme et femme. « J’ai toujours rêvé de défiler à la villa Malaparte », explique-t-il, faisant référence à l’œuvre architecturale moderne d’Adalberto Libera, construite entre 1938 et 1943 pour l’écrivain italien Curzio Malaparte.
Cette villa à flanc de falaise, dans l’est de Capri, a servi au tournage de films tel Le Mépris (1963), de Jean-Luc Godard, que Simon Porte Jacquemus cite toujours comme source d’inspiration, mais n’avait jamais accueilli de défilé jusqu’alors. Le créateur raconte que c’est à force d’envoyer aux propriétaires des messages sur Instagram, où il faisait aussi état de son amour pour la maison, qu’il a fini par les convaincre. Dans un secteur où les marques se livrent une concurrence féroce pour mettre en scène leur collection dans des lieux singuliers, c’est indéniablement un joli coup.
Ce défilé souligne aussi un virage esthétique entrepris lors de la collection précédente, « Les Sculptures », mise en scène à la Fondation Maeght en janvier 2024 : alors que Jacquemus s’était jusqu’à présent illustré par son vestiaire estival léger, facile à porter et peu couvrant, il cherche désormais à rendre son offre à la fois plus sophistiquée et plus minimale. A Capri, les tenues féminines adoptent des formes géométriques très reconnaissables, avec des cols déployés en V autour des épaules, des robes coniques, des jambes de pantalon arrondies, des bustiers trapézoïdaux. La dimension très graphique n’exclut pas une dose de sensualité, notamment grâce aux dos dénudés ou à des drapés surprenants, comme cette robe longue dont on découvre qu’elle dévoile hanche et cuisse quand on la regarde de côté.
Pour l’homme, Jacquemus s’éloigne aussi de l’esthétique décontractée. Il troque les chemisettes estivales et les shorts à poches plaquées pour des pantalons amples et à pinces, associés à un pull col bateau ou à une chemise à rayures rose pâle. Quelques silhouettes monochromes dans des tons vifs – bleu Klein, vert gazon, rouge piment – apportent une touche plus mode. Simon Porte Jacquemus compare à raison le résultat à de l’« Armani des années 1990 », Giorgio Armani symbolisant une forme d’élégance minimaliste indépassable.
« On n’a jamais vendu autant de vêtements que depuis le défilé de janvier, s’enthousiasme Simon Porte Jacquemus. On se rend compte que l’on séduit un client plus luxe, qui ne veut pas porter les mêmes choses que tout le monde. » Jusqu’à présent, la croissance de la marque reposait essentiellement sur la vente d’accessoires, en particulier les sacs Chiquito (550 euros) et Bambino (620 euros), ainsi que le bob Artichaut (130 euros) : des articles écoulés en grande quantité, dont les prix demeuraient bien au-dessous de ceux pratiqués par les marques de luxe.
Jacquemus veut désormais aussi vendre des vêtements, plus travaillés, et de meilleure qualité. « Cela veut dire augmenter les prix, concède le designer. Mais cela ne signifie pas que je vais arrêter de faire des robes simples en jersey, plus accessibles. » En période de crise économique et en l’absence d’investisseurs, il est raisonnable de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
D’autant que monter en gamme ne se fera pas d’un claquement de doigts : il faudra plusieurs saisons à Jacquemus pour trouver les bons fournisseurs et fabricants, qui sont déjà préemptés par les grands groupes. Le designer admet qu’il lui « reste beaucoup de savoir-faire à acquérir », mais, avec l’art du storytelling qui le caractérise, promet aussi qu’il va « passer tout le reste de [sa] vie à faire de meilleurs produits ».
« Je ne me considère pas comme une marque de luxe, mais peut-être que mes enfants la verront ainsi », devisait-il sur le toit de la villa Malaparte, devant ses quarante invités – parmi lesquels Gwyneth Paltrow, Dua Lipa ou Laetitia Casta. Il est difficile de prédire si le repositionnement de Jacquemus suffira à assurer la longévité de sa marque dans un univers aussi concurrentiel. En tout cas, à Capri, le designer a encore témoigné de sa capacité à mettre en scène des défilés hors du commun. Un talent convoité qu’il pourrait toujours proposer à la concurrence si jamais ses rêves de grandeur ne se réalisaient pas comme prévu.
Elvire von Bardeleben (Capri [Italie])
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